"(Bliiip) - Rame 4?
- Oui j'écoute?
- Euh, tu fais quoi, là, Fabien... T'arrêtes ou tu refais un tour?
- Bin euh, pour une fois que j'ai un tramway pour moi tout seul, je continuerais bien à m'amuser un moment!
- Bon OK, mais je te préviens, à sept heures et demi, moi j'ai fini!
- Rhôôô dommage, j'aurais bien voulu conduire de nuit, ça doit être beau avec tous les nouveaux éclairages et tout ça...
- Oui oui, c'est ça... (Blip)"
Il y a un peu plus de vingt ans, le gamin que j'étais jouait encore aux Lego. Avec ville entière, aéroport, autocars, autobus et train Corail "Jouef" qui reliait le centre à la banlieue, faute d'avoir pu acheter les boites du métro-tram Lego. Et au milieu de tout ça, quelques places libres à peine assez larges pour que je puisse sauter de l'une à l'autre et donner vie à tout ce bazar...
- Autocars... OK, c'est fait;
- Bus... OK;
- Avions... Pas exactement des jets privés, mais bon, c'est fait... OK;
- Train, Métro, Tramway... Ah bin ça non, ça manquait au tableau!
Paris (Bobigny, plutôt), janvier 2006.
"- Bon, qui c'est qui prend la place?
- Y'a qu'à mettre le gamin, là, il en bave d'envie.
- Pfff... euh... ça se voit tant que ça?
- Bon et bien allez, tu t'installes?
- Euh comme ça? Direct?
- Oui oui, t'inquiète. Je te dirai quoi faire. Allez, tu règles le siège, la clef sur "Cab" et on y va. Faut pas qu'on tarde, là, y'a la rame suivante qui veut prendre ta place..."
Mal assis, mal calé, pas eu le temps de découvrir tous les boutons.
Je pose la main sur la manette, en enfonce le système de veille et la fait lentement glisser vers l'avant.
Les freins se relâchent, le vrombissement des moteurs électriques augmente, la machine décolle tout en douceur. Sans forcer, le couple des bobines donne une impression de puissance souple, de force maîtrisée. Régulièrement, je lâche la veille et l'enfonce de nouveau. Le machin prend de la vitesse tranquillement.
La première station arrive vite. Je ramène la manette vers moi, laisse rouler un moment sur le neutre puis tire un peu en arrière pour sentir le freinage. Les moteurs recréent de l'électricité tout en ralentissant sans à-coup les 45 tonnes du vieux TFS; le dosage est facile, naturel, et j'arrête la rame en douceur à peu près au bon endroit.
Un coup de clochette, on n'oublie pas de veiller, manette en avant et ça repart.
"- N'hésite pas, envoie la sauce, c'est fait pour ça.
- A fond?
- A fond, "Little"..."
Sans être nerveuse, l'accélération est puissante, saine. Je n'oserai finalement pas dépasser les 50, car même si la station suivante me laisse de la marge, le mauvais état de la voie (15 ans: déjà ancienne pour un tram) secoue la machine à droite à gauche.
Le plaisir, avec ce type d'engin, n'est pas dans le record de vitesse, mais dans la souplesse et la régularité que l'électricité et le site propre permettent.
A cet instant, derrière moi, il y a un gamin tout excité, qui se souvient de l'envie qu'il avait d'essayer le vieux tram de Saint-Etienne quand il était gosse, ou plus tard, celui de Grenoble ou de Strasbourg. Le gosse exulte et accumule autant d'images que possible, tandis que j'essaie tant bien que mal de passer pour un conducteur de tram appliqué et sérieux...
Meudon, quelques jours plus tard.
La deuxième ligne de Tramway parisienne reprend la tracé d'une ancienne voie SNCF. Les infrastructures sont neuves, mais le décor, par endroit, n'a pas du changer beaucoup depuis... Les anciennes petites gares sont toujours là, les vieux tunnels aussi, les jolies petites maisons cossues avec vue sur la Seine...
Ici, les rames du très moderne Citadis vont par deux. Lorsque je m'installe aux commandes, j'ai donc derrière moi un train de 64 mètres, sans m'en rendre vraiment compte.
La cabine pourrait être aussi bien celle d'un TGV-duplex, bien qu'un peu modèle réduit et avec des graduations différentes sur le tachymètre.
La position est vite trouvée: on se sent bien immédiatement. Les écrans reliés aux caméras extérieures ne permettent pas d'imaginer la longueur de l'ensemble tant que le tram (j'ai envie de dire Train!) est en ligne droite.
La manette de puissance est plus petite que celle du joystick de mon ordinateur! Au bout, le système de veille est un simple capteur sensoriel, c'est agréable et moins fatiguant (mais pourquoi donc n'y a-t-il pas ça sur le Tram clermontois, bon sang!)...
Le dimanche précédent, j'étais venu faire un aller-retour complet sur cette ligne, en simple passager, sans me douter que j'aurai le plaisir et l'avantage de me retrouver aux commandes un jour.
Et me voici donc au terminus d'Issy, donnant mon petit coup de clochette, faisant glisser mon doigt sur la veille, et poussant la manette en avant. Mon formateur appuie sur un bouton pour envoyer un peu de sable sous les roues motrices et m'éviter de reculer, puis le train s'avance avec la souplesse d'un vaisseau spatial sorti de Star Wars.
Ici, la voie est neuve, le confort est parfait: ni secousse, ni vibration, juste le doux bruit de l'intensité électrique que j'augmente.
Avec deux doigts et la modeste petite manette, j'ajuste la puissance pour l'accélération comme pour le freinage au millimètre près; les 64 mètres et les 80 tonnes m'obéissent précisément, s'immobilisent en douceur aux stations et ré-accélèrent puissamment.
Cette ligne s'apparente vraiment plus à celle d'un train de banlieue qu'à une ligne de Tram urbain. Les distances entre les stations sont suffisantes pour accrocher un bon 70 et se laisser couler "sur l'erre" en souplesse. A ma droite, la Seine; à ma gauche, les résidences chiques de Meudon puis de Saint-Cloud; le Parc de Saint-Cloud, justement, où je ma baladais quelques années plus tôt, découvrant alors Paris, ses contrastes et ses richesses.
Un court tunnel nous change de siècle: sa sortie nous place face aux immenses tours de la Défense. Encore quelques arrêts et nous y voici, sous la Défense, terminant notre voyage en mode "métro" pour retrouver l'agitation, voire la folie urbaine; un train de banlieue repart alors que j'entre en gare à vitesse réduite, et déjà un RER prend sa place...
Clermont-Ferrand, août 2006.
Après avoir ingurgité des tas de formations depuis des mois, après avoir plus ou moins appris (et un peu oublié) quantité de théorie, après avoir conduit un peu le Translohr clermontois, je me retrouve enfin seul aux commandes d'une rame de Tramway. Enfin.
Alors forcément, non, je n'ai pas envie de m'arrêter.
Il n'est plus question de travail, de salaire, d'heures supplémentaires ou non, mais juste de prendre son pied.
Je ne vais pas dire que je me fais autant plaisir que j'en aurais pris à faire d'autres aller-retour entre Issy et la Défense avec mon train électrique de 64 mètres. Non, le poste de conduite du Lohr me plaît moins, j'aurais préféré la manette des gaz de mon joystick plutôt que ces pédales ridicules et difficiles à doser; le confort est différent, le système de freinage (soi-disant plus moderne) est absurde et rend difficile une décélération souple et linéaire pour s'arrêter juste comme il faut et où il faut. Dommage...
Mais ce ne sont que des détails. Et puis prendrais-je autant de plaisir à essayer de maîtriser le truc si cela était trop facile?
Après tout, la puissance de l'énergie électrique est là, les 32 mètres derrière moi aussi. Le Lohr permet des virages serrés et dans mes écrans numériques, je surveille les modules arrières dans la courbe alors que l'avant a déjà retrouvé la ligne droite.
Après l'accélération, je lâche la pédale et l'engin continue de filer, silencieusement; il pourrait rouler encore longtemps sur son inertie, si les stations n'étaient pas si proches...
Si tous les feux ne sont pas encore réglés, période d'essai oblige, bon nombre s'ouvre déjà lorsque le tram arrive dans le carrefour, priorité qui donne un confort formidable et qui permettra à qui le veut (conducteur et passagers) d'oublier les embouteillages.
Peu de stress. Puissance, modernité, vitesse, mais peu de stress.
Les conducteurs seront sans doute heureux aux commandes, comme je le suis ce soir, et je risque de regretter de n'être pas appelé à le conduire souvent. Re-dommage...
Et un rêve de gosse réalisé, un de plus!
Quelques liens-photos:
T1 vu par www.eisenbahn-bilder.ch
T2 vu par www.photos-trains.ch
T2 vu par www.francevuedutrain.net
... et "mon" Tram clermontois
- Oui j'écoute?
- Euh, tu fais quoi, là, Fabien... T'arrêtes ou tu refais un tour?
- Bin euh, pour une fois que j'ai un tramway pour moi tout seul, je continuerais bien à m'amuser un moment!
- Bon OK, mais je te préviens, à sept heures et demi, moi j'ai fini!
- Rhôôô dommage, j'aurais bien voulu conduire de nuit, ça doit être beau avec tous les nouveaux éclairages et tout ça...
- Oui oui, c'est ça... (Blip)"
Il y a un peu plus de vingt ans, le gamin que j'étais jouait encore aux Lego. Avec ville entière, aéroport, autocars, autobus et train Corail "Jouef" qui reliait le centre à la banlieue, faute d'avoir pu acheter les boites du métro-tram Lego. Et au milieu de tout ça, quelques places libres à peine assez larges pour que je puisse sauter de l'une à l'autre et donner vie à tout ce bazar...
- Autocars... OK, c'est fait;
- Bus... OK;
- Avions... Pas exactement des jets privés, mais bon, c'est fait... OK;
- Train, Métro, Tramway... Ah bin ça non, ça manquait au tableau!
* * *
Paris (Bobigny, plutôt), janvier 2006.
"- Bon, qui c'est qui prend la place?
- Y'a qu'à mettre le gamin, là, il en bave d'envie.
- Pfff... euh... ça se voit tant que ça?
- Bon et bien allez, tu t'installes?
- Euh comme ça? Direct?
- Oui oui, t'inquiète. Je te dirai quoi faire. Allez, tu règles le siège, la clef sur "Cab" et on y va. Faut pas qu'on tarde, là, y'a la rame suivante qui veut prendre ta place..."
Mal assis, mal calé, pas eu le temps de découvrir tous les boutons.
Je pose la main sur la manette, en enfonce le système de veille et la fait lentement glisser vers l'avant.
Les freins se relâchent, le vrombissement des moteurs électriques augmente, la machine décolle tout en douceur. Sans forcer, le couple des bobines donne une impression de puissance souple, de force maîtrisée. Régulièrement, je lâche la veille et l'enfonce de nouveau. Le machin prend de la vitesse tranquillement.
La première station arrive vite. Je ramène la manette vers moi, laisse rouler un moment sur le neutre puis tire un peu en arrière pour sentir le freinage. Les moteurs recréent de l'électricité tout en ralentissant sans à-coup les 45 tonnes du vieux TFS; le dosage est facile, naturel, et j'arrête la rame en douceur à peu près au bon endroit.
Un coup de clochette, on n'oublie pas de veiller, manette en avant et ça repart.
"- N'hésite pas, envoie la sauce, c'est fait pour ça.
- A fond?
- A fond, "Little"..."
Sans être nerveuse, l'accélération est puissante, saine. Je n'oserai finalement pas dépasser les 50, car même si la station suivante me laisse de la marge, le mauvais état de la voie (15 ans: déjà ancienne pour un tram) secoue la machine à droite à gauche.
Le plaisir, avec ce type d'engin, n'est pas dans le record de vitesse, mais dans la souplesse et la régularité que l'électricité et le site propre permettent.
A cet instant, derrière moi, il y a un gamin tout excité, qui se souvient de l'envie qu'il avait d'essayer le vieux tram de Saint-Etienne quand il était gosse, ou plus tard, celui de Grenoble ou de Strasbourg. Le gosse exulte et accumule autant d'images que possible, tandis que j'essaie tant bien que mal de passer pour un conducteur de tram appliqué et sérieux...
Meudon, quelques jours plus tard.
La deuxième ligne de Tramway parisienne reprend la tracé d'une ancienne voie SNCF. Les infrastructures sont neuves, mais le décor, par endroit, n'a pas du changer beaucoup depuis... Les anciennes petites gares sont toujours là, les vieux tunnels aussi, les jolies petites maisons cossues avec vue sur la Seine...
Ici, les rames du très moderne Citadis vont par deux. Lorsque je m'installe aux commandes, j'ai donc derrière moi un train de 64 mètres, sans m'en rendre vraiment compte.
La cabine pourrait être aussi bien celle d'un TGV-duplex, bien qu'un peu modèle réduit et avec des graduations différentes sur le tachymètre.
La position est vite trouvée: on se sent bien immédiatement. Les écrans reliés aux caméras extérieures ne permettent pas d'imaginer la longueur de l'ensemble tant que le tram (j'ai envie de dire Train!) est en ligne droite.
La manette de puissance est plus petite que celle du joystick de mon ordinateur! Au bout, le système de veille est un simple capteur sensoriel, c'est agréable et moins fatiguant (mais pourquoi donc n'y a-t-il pas ça sur le Tram clermontois, bon sang!)...
Le dimanche précédent, j'étais venu faire un aller-retour complet sur cette ligne, en simple passager, sans me douter que j'aurai le plaisir et l'avantage de me retrouver aux commandes un jour.
Et me voici donc au terminus d'Issy, donnant mon petit coup de clochette, faisant glisser mon doigt sur la veille, et poussant la manette en avant. Mon formateur appuie sur un bouton pour envoyer un peu de sable sous les roues motrices et m'éviter de reculer, puis le train s'avance avec la souplesse d'un vaisseau spatial sorti de Star Wars.
Ici, la voie est neuve, le confort est parfait: ni secousse, ni vibration, juste le doux bruit de l'intensité électrique que j'augmente.
Avec deux doigts et la modeste petite manette, j'ajuste la puissance pour l'accélération comme pour le freinage au millimètre près; les 64 mètres et les 80 tonnes m'obéissent précisément, s'immobilisent en douceur aux stations et ré-accélèrent puissamment.
Cette ligne s'apparente vraiment plus à celle d'un train de banlieue qu'à une ligne de Tram urbain. Les distances entre les stations sont suffisantes pour accrocher un bon 70 et se laisser couler "sur l'erre" en souplesse. A ma droite, la Seine; à ma gauche, les résidences chiques de Meudon puis de Saint-Cloud; le Parc de Saint-Cloud, justement, où je ma baladais quelques années plus tôt, découvrant alors Paris, ses contrastes et ses richesses.
Un court tunnel nous change de siècle: sa sortie nous place face aux immenses tours de la Défense. Encore quelques arrêts et nous y voici, sous la Défense, terminant notre voyage en mode "métro" pour retrouver l'agitation, voire la folie urbaine; un train de banlieue repart alors que j'entre en gare à vitesse réduite, et déjà un RER prend sa place...
* * *
Clermont-Ferrand, août 2006.
Après avoir ingurgité des tas de formations depuis des mois, après avoir plus ou moins appris (et un peu oublié) quantité de théorie, après avoir conduit un peu le Translohr clermontois, je me retrouve enfin seul aux commandes d'une rame de Tramway. Enfin.
Alors forcément, non, je n'ai pas envie de m'arrêter.
Il n'est plus question de travail, de salaire, d'heures supplémentaires ou non, mais juste de prendre son pied.
Je ne vais pas dire que je me fais autant plaisir que j'en aurais pris à faire d'autres aller-retour entre Issy et la Défense avec mon train électrique de 64 mètres. Non, le poste de conduite du Lohr me plaît moins, j'aurais préféré la manette des gaz de mon joystick plutôt que ces pédales ridicules et difficiles à doser; le confort est différent, le système de freinage (soi-disant plus moderne) est absurde et rend difficile une décélération souple et linéaire pour s'arrêter juste comme il faut et où il faut. Dommage...
Mais ce ne sont que des détails. Et puis prendrais-je autant de plaisir à essayer de maîtriser le truc si cela était trop facile?
Après tout, la puissance de l'énergie électrique est là, les 32 mètres derrière moi aussi. Le Lohr permet des virages serrés et dans mes écrans numériques, je surveille les modules arrières dans la courbe alors que l'avant a déjà retrouvé la ligne droite.
Après l'accélération, je lâche la pédale et l'engin continue de filer, silencieusement; il pourrait rouler encore longtemps sur son inertie, si les stations n'étaient pas si proches...
Si tous les feux ne sont pas encore réglés, période d'essai oblige, bon nombre s'ouvre déjà lorsque le tram arrive dans le carrefour, priorité qui donne un confort formidable et qui permettra à qui le veut (conducteur et passagers) d'oublier les embouteillages.
Peu de stress. Puissance, modernité, vitesse, mais peu de stress.
Les conducteurs seront sans doute heureux aux commandes, comme je le suis ce soir, et je risque de regretter de n'être pas appelé à le conduire souvent. Re-dommage...
Et un rêve de gosse réalisé, un de plus!
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Quelques liens-photos:
T1 vu par www.eisenbahn-bilder.ch
T2 vu par www.photos-trains.ch
T2 vu par www.francevuedutrain.net
... et "mon" Tram clermontois
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