Mai 1968 : Révolte des étudiants, grève générale des ouvriers un peu partout, le bordel, quoi.
30 Mai : De Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale et la tenue d’élections législatives.
30 Juin : Victoire écrasante de la droite Gaulliste…
* * *
Mai 2008 : Chacun parle à tord et à travers des évènements, 40 ans plus tôt. L’un veut enterrer l’héritage de 68, d’autres aimeraient bien refaire la révolution.
A Clermont-Fd, Capitale de l’Auvergne dont
« De toute façon ça peut pas continuer comme ça. Ca va péter, c’est obligé. Ca va refaire comme en 68, Sarko finira pas le mois. »
Son chef acquiesce, se marre intérieurement et s’en fout.
30 Mai : Le mois s’achève et à Clermont comme ailleurs, la révolution n’a pas eu lieu. Le petit chef est content et s’occupe tranquillement de préparer ses prochaines vacances.
30 Mai, encore : Le ministre du travail annonce qu’avec la nouvelle loi votée la nuit même, les 35 heures restent la base, mais que chaque entreprise est libre de négocier « sa » durée hebdomadaire du temps de travail, dans la limite des 48 heures fixée par l’Europe.
Et le bordel reprend…
* * *
Mardi 10 Juin 2008 : Bien occupé par son boulot et les grèves à gérer dans son entreprise, Fabien n’a pas trop fait attention aux évènements dans le reste du pays.
Depuis 10 jours, le blocage ne fait que se confirmer. Les grèves ont commencé doucement, mais ont vite pris racine. Au début, il a fallu gérer, essayer de faire rouler quelques trams et bus ; puis les trams sont restés bloqués au dépôt un matin, et les derniers conducteurs de bus ont fini par abandonner eux-aussi.
Aujourd’hui, le petit chef s’en moque : plus de piquet de grève à franchir, plus de grévistes à pointer. Il est en vacances et, au milieu du chaos, s’en va prendre un 737 à Lyon pour Madrid puis les Canaries, en espérant que tout cela soit rentré dans l’ordre à son retour.
* * *
Aéroport de Lyon Saint-Exupéry, Mardi 10 Juin, fin de matinée.
Les aérogares sont prises d’assaut. Fabien ne se souvient pas avoir vu la moitié de tout ce petit monde lorsqu’il avait pris l’avion ici-même, un an plus tôt, pour quelques vacances en Crète.
Ca grouille. Beaucoup de petites familles bien propres, bien classes ; quelques cadres en tenue de combat, portable à l’oreille et PC à la main ; pas les utilisateurs habituels des charters pour la Tunisie ou des compagnies à bas coût, ni du 737 Easyjet pour Madrid.
Ca court partout. On cherche des places ; on rachète des billets 10, 20 fois leur prix. Dans la file d’attente pour l’enregistrement de son gros sac de voyage, Fabien se fait aborder discrètement.
« Il me manque encore une place, j’en ai déjà eu trois sur ce vol pour les gosses et ma femme. Vous êtes sûr que vous voulez aller à Madrid?
- Ah bin oui, j’ai réservé à Madrid, puis aux Canaries, tout est payé. Tant qu’à faire, autant y aller.
- Et si je vous propose de tout vous rembourser, là, maintenant ?
- Bin euh… mais non. Mais il se passe quoi, là ? Pourquoi tout-le-monde est si excité ?
- Vous sortez de quel trou, vous ? Vous n’avez pas eu les infos, ce matin, avant qu’ils ne coupent tout ?
- Mbof vous savez, moi, les infos…
- Depuis cette nuit, il n’y a plus de Gouvernement. Ca a chauffé fort à Paris, on n’a pas tout compris. Toujours est-il que Sarkosy s’est envolé avec femme et enfants dans le jet privé de sa belle-famille, et que les ministres sont partis se cacher à droite à gauche. Quant à moi, j’avais jusqu’à hier soir une petite affaire familiale et ce matin, il me reste juste ce que j’ai eu le temps de sortir du coffre. Voilà pourquoi on file retrouver les parents de ma femme en Espagne, et on avisera. Bon, 1000 euros, ça vous va ? On passe au comptoir Easy, vous annulez votre billet et je passe immédiatement derrière racheter la place !
- Bon c’est sûr, c’est le budget de mes deux semaines de vacances, mais bof… A quoi bon rester, si c’est pour se taper la révolution prolétaire et tout le bordel ? Non allez… Continuez à chercher, dans tout ce peuple vous trouverez bien quelqu’un qui…
- (Petit grand–père derrière nous) Euh… Psssitt, messieurs ?
- Oui ?
- Moi je sais pas trop ce que je fais là. Ma fille m’a posé là en me disant d’aller rejoindre mon frère en Espagne ! Trente ans que je l’ai pas vu, vous pensez ! Qu’est-ce qu’il va me dire ? Combien vous disiez, déjà ?
- 1000 euros ? Vous venez faire l’échange au comptoir ?
- 1000-combien ? Mon oreille n’est plus ce qu’elle était… A mon âge, vous pensez !
- 1200, ça vous va ?
- Ahhhh… 1500 ! Oh bin à ce prix-là. D’toute façon j’n’avais guère envie d’prendre l’avion, alors… »
* * *
Aéroport de Lyon Saint-Exupéry, terminal 3, Boeing 737, 13h40.
« Lyon prévol bonjour, Easyjet 7846, la mise-en-route pour Madrid, s’il vous plaît.
- Easy 7846 bonjour, on est toujours en attente de consignes, mais pour le moment vous avez de la chance, mise-en-route approuvée. Ce sera un décollage 36 Left, départ standard SID MURRO 4Echo, Lyon Départ 133.15.
- 36 Left, départ SID MURRO 4Echo, Lyon Départ 133.15, Easy 7846.
- Easy 7846 c’est correct, contactez le sol 121.825 prêt au poussage.
- 121.825, bonne journée. »
« Sorties fermées, verrouillées, OK pour la mise en route moteur 1.
- Lyon sol bonjour, Easyjet 7846, prêt au poussage… »
Derrière, alors que l’avion commence à bouger et s’éloigner des passerelles, un certain soulagement s’installe. « Ca va le faire », comme ils disent. « Une fois en l’air on est sauvés », alors qu’en temps normal, c’est plutôt à cet instant que les passagers peu habitués commencent à serrer les fesses à l’idée de quitter le sol.
« Easy 7846 roulez piste 36 Left par TF, TJ, T7 et A7.
- Roulage 36 Left via TF, TJ, T7, A7, Easy 7846.
- Correct, au point d’arrêt 36L contactez Lyon Tour sur 120.45. »
Le son du moteur gauche devient un peu plus aigu, juste assez pour décoller l’avion de quelques nœuds, puis se stabilise de nouveau à son régime de ralenti, suffisant pour pousser le Boeing à une quinzaine de nœuds. L’avion suit scrupuleusement les différentes lignes jaunes pour atteindre le taxiway T7 et rejoindre une file de cinq ou six autres appareils. Freinage, attente. Un A320 Lufthansa s’arrache de la piste 36L et chaque avion en attente avance d’une case. En face, trois points lumineux suivent lentement l’approche de la 36R, pendant qu’un Corsair décélère et dégage la piste.
Sur la 36L, les décollages s’enchaînent ; les pilotes ne traînent pas, espérant ne pas se voir bloqués en France. Trois autres avions cèdent leur place au point d’arrêt ; devant le 737 orange ne subsiste plus qu’un A319 Air France.
« Lyon Tour bonjour, Air France 3382 pour Tunis, A7, on est prêt.
- AF 3382 bonjour, maintenez, je vous rappelle. »
Alors que les arrivées continuent, ne restent plus au départ que l’Air France suivi par l’Easyjet. Derrière, aucun avion ne vient plus compléter l’attente. De longues minutes passent…
Depuis son hublot, côté droit, Fabien constate la mise en route du moteur 2, vibrations et sifflement à l’appui, puis léger et éphémère nuage de fumée.
« Lyon Tour, Air France 3382, vous nous avez oubliés ?
- AF 3382 négatif, je suis juste en train de recevoir de nouvelles consignes. A priori, pas de décollage pour vous, 3382.
- Euh, 3382… On saisi pas tout, là… C’est quoi le problème ?
- Et bien 3382, le problème, c’est que nous avons ici présents en tour de contrôle des personnes qui nous demandent d’annuler tous les vols, par sécurité et dans l’intérêt général. Donc 3382, vous roulez par la piste 36L, vous sortez en A6 et passez avec le sol 121.825.
- Bien reçu, roulage 36L, A6 et 121.825, Air France 3382.
- Lyon Tour bonjour, Easyjet 7846 en A7, prêt et euh… on peut y aller, nous ?
- Easy 7846 bonjour, négatif, même punition. Suivez le 319 en 36L et sortie A6, le sol 121.825.
- Bien compris, Lyon, mais… Notre compagnie est Britannique, l’avion est immatriculé en G, l’équipage est Suisse et une bonne partie de nos passagers sont européens, non français. Nous n’avons rien à voir avec les problèmes politiques franco-français actuels. En vertu de la convention régissant le transport aérien et des accords de Schengen, nous insistons pour garder notre créneau et effectuer notre vol normalement.
- Bien compris aussi, 7846, mais le monsieur derrière moi insiste au moins autant que vous. Vous avez des passagers français à bord et ceux-ci sont priés de ne pas quitter le territoire jusqu’à nouvel ordre. Roulez en 36L et sortez en A6, s’il vous plaît.
- On s’aligne et on décolle 36 Left, Easy 7846.
(A son copilote :) Allez vas-y, aligne-nous. Ils ne vont quand même pas nous envoyer la chasse !
- Easyjet 7846, Lyon Tour, ne jouez pas à ça avec eux…
- Bien reçu, on monte dans l’axe vers
Second soulagement des passagers alors que le Boeing roule de nouveau, vire à gauche sur la piste ; sans marquer d’arrêt, le régime des réacteurs augmente et ça commence à pousser fort. Des parkings sur la gauche apparaissent des gyrophares bleus filant à pleine vitesse entre les avions. Deux Laguna break de la PAF s’arrêtent de chaque côté de la piste, à la moitié de sa longueur ; en sortent plusieurs fonctionnaires de Police en tenue de combat qui pointent immédiatement leur Famas en direction du Boeing.
« Easy 7846,
(Copilote :) Bon on arrête là. Ils sont capables de tout, ces maudits français, ils ont coupé des têtes pour moins que ça !
- Lyon Tour, bien reçu, on voulait juste décrasser un peu les moteurs… Par contre pour A6 ça va faire un peu juste. »
Le 737 aura à peine eu le temps d’atteindre une soixantaine de nœuds que, déjà, les réacteurs retrouvent le ralenti, les aérofreins se déploient et un freinage puissant sur les roues se fait ressentir.
La plupart des passagers se lamentent tout en se demandant bien ce qui a pu se passer… Même si certains s’en doutent déjà, comme Fabien qui voit déjà ses îles Canaries s’éloigner.
« 7846, vous sortez par A5 en suivant la première voiture de
* * *
Voitures au pied de l’avion, policiers armes au poing ; deux bus de l’aéroport ; escalier mis en place, ouverture de la porte principale.
« Messieurs Dames bonjour, comme vous le savez, la situation a quelque peu changé depuis ce matin. Le Gouvernement Provisoire nous a demandé d’éviter que des citoyens français ne quittent le pays par peur de l’avenir alors que nous nous efforçons d’assurer la sécurité de chacun. Nous allons donc devoir procéder à un contrôle d’identité, ainsi qu’à une vérification de la validité de vos billets. Merci pour votre compréhension. »
Scrupuleusement, le contrôle se fait. Les étrangers restent dans l’avion. Les français, selon le bon vouloir des policiers, sont affectés à l’un ou l’autre des deux bus. Arrive le tour de l’homme ayant essayé d’acheter le billet de Fabien.
« Ces billets ont été achetés quand ?
- Ce matin, pendant l’enregistrement.
- Une envie subite de partir en vacances en Espagne ? Les enfants n’ont pas école ?
- Les parents de mon épouse sont Espagnols. Mon beau-père est bien malade et, puisque les écoles sont en grève, j’ai pensé amener les enfants pour qu’ils profitent de leurs grands-parents.
- Et vous avez décidé ce matin, comme ça ?
- D’habitude, les billets achetés chez Easyjet sont moins chers au dernier moment.
- Ce matin, ils ont du vous coûter un peu plus cher, non ? Sans doute plus que ma paie de fonctionnaire de Police… De quoi avez-vous si peur ? Pourquoi fuir votre pays ?
- Je ne fuis pas, Monsieur. Je laisse passer la crise. J’ai tout perdu en une nuit. Que ferai-je ici si je reste ?
- Et que ferez-vous si vous partez ? Non croyez-moi, tout se passera très bien. Il va juste falloir prendre de nouvelles habitudes, comme nous le faisons nous-mêmes. Nous allons vous aider à vous adapter. Je vous laisse suivre mon collègue jusqu’au bus numéro un.
- Et mon épouse, et les enfants ?
- Préférez-vous qu’ils vous suivent et qu’on leur explique aussi comment s’adapter ?
- Euh, je ne sais plus…
- Alors laissez-les rentrer chez eux, vous les aiderez à votre tour à… s’adapter… Madame : bus numéro deux. Au suivant. »
Fabien tend son passeport et son billet, ainsi que ses réservations pour les deux semaines à venir.
« Date d’achat ?
- Il y a deux semaines environ. Fin mai.
- Vous aussi, vous avez un grand-père malade en Espagne ?
- Non, moi j’ai bien travaillé pour le Service Public pendant des mois, et je souhaitais prendre des vacances que je croyais méritées.
- Et éventuellement, fuir les grèves et le nécessaire changement ?
- Franchement, fin mai, qui se doutait de ce que serait aujourd’hui ? Mes vacances étaient payées, et les billets d’avion non remboursables. Alors autant les utiliser.
- Peut-être. Quoi qu’il en soit, vous devrez sans doute passer ces vacances chez vous. Je garde votre passeport, vous serez contacté à votre domicile. Bus numéro deux. Au suivant. »
* * *
Peut-être @ suivre...
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