En route depuis Lima vers Nasca par le fameuse route "Panaméricaine" (route légendaire longeant plus ou moins le Pacifique du nord au sud), depuis le second étage de mon autocar grand tourisme (avec repas servi à bord par une hôtesse), depuis mon petit luxe bien protégé, je suis effaré par ce que je vois.
Bien-sur, je m'attendais à un niveau de vie assez bas, à quelques bidonvilles. Mais je ne m'attendais pas à cela. Pas à ce point. Pas à ce que la grande majorité des habitants de cette cote pacifique péruvienne vive dans de petits abris de bric et de broc, avec souvent trois semblants de murs, parfois quatre, mais rarement de vrai toit (généralement une vulgaire toile, au mieux des matériaux de recup.)...
Ce fut d'abord la traversée de Lima. Après la prise en charge dans la gare routière "Cruz del Sur" ultra-moderne, sur-gardée, où les bagages sont consignés comme par une compagnie aérienne et les passagers filmés une fois assis, ce sont 20, 30 minutes à travers l'agglomération avant que la densité ne se calme un peu. Ce Lima qui confirme ce que ma petite expérience de la veille m'avait fait comprendre: la partie fréquentable par le touriste, même animé des meilleurs intentions, ne représente qu'un petit point sur la carte de cet immense bassin de pauvreté.
Puis arrive le désert, recouvert le long de cette Panamericana de petites baraques de trois fois rien, des ruines, sur des terrains de quelques mètres-carrés scrupuleusement délimites par des pierres ou un trait de peinture...
Les villes et villages traversés ne sont guère mieux: les mêmes modestes ruines, mais entassées les unes contre les autres. Devant, quelques hommes bricolent, quelques femmes attendent le client, des gamines de 14 ans trainent sans but, enceintes jusqu'au cou si elles ne sont pas déjà affublées d'un mouflet.
J'étais parti avec l'idée de louer une moto quelques jours, peut-être à Arequipa mais surtout à Cusco. Je n'ai pas encore arrêté de décision, mais à voir la pauvreté d'ici, je peux abandonner l'idée (reste à voir si ce sera différent dans la montagne).
Ce n'est pas l'idée de conduire au milieu de ces fous qui me dérange (toute priorité ou stop n'existe pas): je sais que je peux être aussi téméraire qu'eux, il suffit juste d'oser. Non, le problème serait plutôt de devoir s'arrêter. Imaginez une panne le long d'un de ces bidonvilles: ce n'est pas quatre gamins qui en sortiraient, mais sans doute des dizaines qui, en quelques minutes, me débarrasseraient de la moto, de mes "dineros", de mon appareil-photo et du reste, histoire d'améliorer leur quotidien pendant quelques jours...
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- A Lima, j'ai vu une manifestation chaque jour. Mais aussi des policiers anti-émeute jamais très loin, repoussant plus ou moins calmement les contestataires une fois que la plaisanterie a assez duré. Tourne aussi autour de la Plaza Mayor un vieux camion blindé équipé de lances-à-eau, d'au moins 40 ans, qui rappelle des heures plus sombres de l'histoire de ces pays...
- Sans doute en quête de liberté d'expression, les Péruviens avec qui j'ai discuté m'ont toujours branché politique: "Que penses-tu de la politique dans ton pays? Ça marche comment, la démocratie, en France? Il y a des manifestations aussi, chez toi?" Par contre, pour leur faire parler de leur pays, c'est plus difficile.
- Fujimori (Président du Pérou de 1990 a 2000, destitué, exilé puis arrêté, vient d'être condamné à 25 ans de prison pour, entre autres, violations des droits de l'homme - arrestations et exécutions arbitraires -) a toujours de nombreux supporters, alors que nous, Français, le classons parmi ces nombreux politiciens corrompus et autoritaires (théoriquement socialiste ?) dont l'Amérique du Sud a toujours été pourrie. Toujours est-il qu'on voit des slogans "Fujimori innocente" pendant 200 kms le long de la Panamericana!
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Nasca est une petite ville connue pour faire une étape. Rien à voir (aucun immeuble historique ou vieille petite maison), si ce n'est les petits commerces, restos, mais surtout les différentes attractions, toutes basées sur les fameuses "lignes".
Le survol en avion, c'est inévitable. Bien-sur, c'est l'industrie pour touristes, mais comment faire autrement?
Même si on peut découvrir aussi bien les "lignes" depuis des photos ou des bouquins, cela reste des images mythiques que nous avons tous en tête et qu'il serait dommage de ne pas avoir vu "en vrai" tout en passant dans la région. Au moins pour pouvoir le dire...
Coté avions, il y a toute la gamme Cessna. Depuis le Grand Caravan moderne jusqu'au vieux 185 train classique, celui qui m'a amené (sans doute le plus vieux du terrain).
Les vols en bétaillère s'enchainent, les virages serrés à basse altitude autour des différents dessins aussi. Faut aller vite pour prendre des photos, qui ne seront d'ailleurs que de simples photos-souvenirs (vous en trouverez de plus belles sur le Net)...
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Jeudi: coup de blues...
Tant qu'il ne vous est jamais rien arrivé, vous ne connaissez pas la peur. Depuis que j'ai fait les "100 mètres de trop", je me rends compte que j'ai quand même un petit coup au moral.
A Lima, je n'ai pu retrouver la tranquillité. Une fois dans le bus, où l'on se sent protégé, cela s'est calmé et l'arrivée à Nasca m'avait laissé une impression un peu meilleure.
Que nenni! Depuis ce matin (et mis à part l'aeropuerto), impensable de sortir l'appareil-photo. Le centre-ville ayant l'air calme (et moins pauvre à l’extrême), je m'y balade un peu mais tourne vite en rond.
Apres avoir mangé un menu dans un resto très correct (donnant sur la Plaza Mayor), le serveur me met en garde:
"Vous avez vu l'homme qui s'est assis à la table à côté et est reparti sans manger? Il surveillait votre sac. Il est repassé plusieurs fois devant et il ne doit pas être le seul à vous avoir repéré.
- Ah, bien, merci. Et comment je fais, moi, maintenant? Je reste ici toute l'après-midi?
- Non, vous pouvez sortir, mais accrochez bien votre sac-à-dos. Et prenez un taxi.
- Même pour aller au musée, à 300 mètres?
- Si, si, prenez un taxi, c'est seulement 2 soles et c'est plus prudent..."
Le serveur m'a accompagné et a appelé lui-même un taxi. Moi qui adore marcher des kilomètres, me voici obligé de rouler en taxi pour quelques centaines de mètres!
Pourtant, des touristes, il y en a plein, ici. Mais peu sont seuls; en groupe, sans doute risque-t-on moins. Quant à moi, je ne pensais pas faire à ce point la cible idéale...
Je commence à m'inquiéter vraiment pour la suite du voyage. Je sais déjà que je ne pourrai pas faire exactement ce que je voulais faire. En tout cas, pas tout seul.
J'en ai même honte, mais l'idée m'est passée par la tête de l'écourter! Non, ce n'est pas le mal du pays; en général, c'est plutôt en France que j'ai le mal du pays; enfin, des autres pays... ¡Tellement souvent, j'aimerais être en Espagne!
Eh bien voici que je ressens la même chose, alors que j'accomplis un voyage de rêve et que je devrais, au contraire, en profiter à fond.
Du coup, j'ai choisi de me réfugier à l'hôtel et d'écrire ces lignes, en attendant l'heure où un taxi (encore!) m'amènera à la station de bus toute proche, mais difficilement accessible de nuit.
On m'a promis qu'Arequipa était une ville calme, que la mentalité de la montagne était différente. Je l'espère. J'espère que j'y retrouverai le moral et l'envie de visiter, découvrir et profiter.
Note : Nasca et les villes du désert côtier semblent être les villes des grosses voitures américaines. Plus pourries les unes que les autres (mais au bruit toujours magnifique), les Gran Torino (cf « Starsky et Hutch »), entre autres, se dérouillent un peu quand leurs propriétaires ont de quoi les nourrir, ou servent simplement de points de ralliement et de discussion autour de l’autoradio. Parfois, vous verrez passer une de ces américaines remplie de jeunes bourrés ou shootés, conduite n’importe comment, semer la terreur sur sa route comme on le voit dans tous les films américains. Sauf qu’on n’est pas au cinéma…
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Passons sur le voyage en bus Nasca - Arequipa. Cette Panamericana est vraiment terrible, au sud de Nasca. 400 kms: 9 heures... Et encore, ça roule mieux de nuit, tant que les camionneurs dorment.
Je viens de discuter avec un étudiant français qui m'a donné une nouvelle rassurante: il a déjà passé deux mois en Equateur puis au Pérou et n'a jamais connu le moindre problème. Le souci doit donc venir de moi, de ma tête de gringo et de mon sac-à-dos! D'ailleurs, j'aurais mieux fait de laisser le Nikon à la maison. Vu le peu de fois où je peux le sortir, un petit compact aurait largement suffit, aurait été moins visible et lourd et fait d'aussi bonnes photos...
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Bonne nouvelle: Arequipa a effectivement un centre-ville très sympa qui me redonne goût au Pérou. Mais restons prudent tout-de-même. J'ai demandé au gardien de l'hôtel où je pouvais déambuler et où je devais m'arrêter. Cela représente environ un rectangle de 8 rues sur 5 rues, au milieu d'une ville de 600 000 habitants.
Bref, nous sommes bien protégés tant que nous restons dans nos prisons dorées.
@ suivre !
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