vendredi, mars 12, 2004

Atocha (Para no olvidarse...)


Pas simple de garer un car de tourisme à Madrid...
Pas simple de garer une voiture à Madrid, déjà... Alors un car...


Si l'Espagne est couverte de campagnes quasi-désertiques, ses grandes villes sont par contre encore plus bordéliques que les nôtres. Dire que les Barcelonais ou les Madrilènes sont entassés les uns sur les autres, ce ne serait pas assez... C'est en effet bien pire que ça.
Si vous trouvez une place où vous pensiez que seule une moto pourrait tenir, un Madrilène y garera sa Seat. Si si...

On pourrait croire que ce bordel se limite à la journée, quand le Madrilène de banlieue vient travailler en centre-ville... Le soir, avec les flots impressionnants de voitures quittant le centre, on espère donc pouvoir enfin trouver une place pour la sienne.
Et bien non. A croire que, en toute logique, alors que le Madrilène de banlieue s'en est retourné chez lui, le Madrilène du centre devait être en promenade à l'extérieur et revient piquer les places que les autres viennent de quitter...
Parce que, pour le pauvre petit français en voyage à Madrid, il n'y a pas plus de place à 22 heures qu'à 10 heures du matin...


Lors de mon premier voyage en car à Madrid, on m'avait un peu prévenu. J'avais donc pleuré auprès de ma patronne pour qu'elle veuille bien me donner une enveloppe suffisante afin de pouvoir payer un parking pendant 10 jours...

Premier jour de voyage. Départ de La Charme vers 4 h du matin, un conducteur "relais" faisant le trajet jusqu'à Bordeaux, avant que je ne prenne la suite jusqu'à la capitale espagnole. Le point de rendez-vous avec les "familles d'accueil" se situe devant la gare "Atocha", à 20 h. Inutile de préciser qu'après plus de 1000 kms, il ne sera pas désagréable de poser le car au plus vite, et d'aller faire connaissance avec le lit qui va m'accueillir pendant 9 nuits...

Le temps de refiler les gamins aux différentes familles, et nous sommes déjà plus près des 21 h que des 20, bien que je sois arrivé avec un quart d'heure d'avance. Normal, quoi...
"- Donde garer le car? Ah sì, sì... Aye oune gare routièèrre, aquì, euh, là-bas..."
Bon, l'organisatrice me file un plan avec l'adresse de la gare routière, donc, puis l'itinéraire pour rejoindre mon logement (à pieds, bien entendu...).

21 h et des poussières, me voici devant la gare routière.
Vous imaginez la gare routière de Clermont, un dimanche, à 9 h du soir? C'est vide? Et bien, à Madrid, à 9h du soir, il y a la queue pour s'y garer,si si...
C'est une gare routière en étages. Je me mets donc dans la rampe d'accès, et j'attends que la queue avance un peu...
Au fur et à mesure que je monte, je suis étonné de voir qu'il y a peu de bus, avec beaucoup d'espace entre chacun d'eux... Il faut dire que je ne vois encore que les toits. Je monte donc un peu plus, et là, je comprends ce qui prend tant de temps.
Quand il reste des places libres, pour ne pas perdre un mètre carré, on y loge des voitures... Trois, quatre voitures à la place d'un bus... Ce qui est compliqué, c'est qu'il faut noter l'heure de sortie souhaitée par chaque propriétaire de voiture, puisque qu'on ne peut pas en sortir une sans bouger d'abord celles garées devant. Bref, toute une organisation!
Le prix? 150 francs par nuit. C'est le tarif Bus, donc si une voiture veut prendre une place pour bus, elle paie le même prix. A 3 ou 4 voitures sur une place Bus, vous comprenez bien qu'il est plus rentable de louer les places Bus... aux voitures! Vous me suivez?
Enfin, pour ce soir, j'aurais eu de la chance. A peine trois-quarts d'heure d'attente...

Il est 22 h, je suis levé depuis 3 h du matin, et je suis là comme un con, avec mes sacs, à m'enfoncer à pieds dans les quartiers pour trouver la bonne rue (de nuit, bien-sûr) où je suis censé loger pendant le séjour. Je crois que j'ai mis à peine une demi-heure... et moins de trois minutes pour m'endormir!


Le lendemain soir, re-belote.
Mais il ne fallait pas espérer avoir tant de chance. A l'heure où je rentre de mon excursion journalière, la gare routière est déjà pleine... de voitures, sans doute, mais bon...
J'ai repéré des places pour bus derrière le musée du Prado, pourquoi ne pas en profiter?
J'y retourne, je me gare, formidable. Quartier calme, beaux immeubles, et en plus c'est gratuit. Hélas, ce sont des places pour bus, mais de jour. Interdites la nuit. Bon, tant pis, pas envie de me coucher à minuit, et j'ai faim.
Sauf que je suis loin de mon appart, il me faut donc prendre un taxi si je veux espérer arriver à une heure raisonnable. J'en profite pour me faire indiquer un autre parking bus pour les nuits suivantes. Hop, c'est noté...

Au matin, le car est toujours là, et même pas de PV... Mais un sympathique promeneur de toutou qui m'explique que, bon, d'accord, ils n'ont pas appelé la police, mais que les riverains ne veulent plus de bus ici la nuit, à cause du bruit des moteurs le matin, etc... Avertissement, donc. Bien reçu, m'sieur...


Troisième soir. Je passe devant la gare routière, aucune chance. Je vais donc tenter le "parking" indiqué par le conducteur de taxi.
En fait de parking, c'est une sorte de terrain vague, le long d'un grand stade. A l'entrée, une espèce de petite caravane; d'autres cars de tourisme, mais aussi des camions y sont garés...
Bon, il va falloir que je m'habitue aux coutumes du pays.
Ici, les parkings, c'est une sorte de mafia. Je pourrais vous en raconter sur Barcelone, aussi, d'ailleurs... Donc, le terrain appartient sans doute à la ville, mais les soirs sans match, il est récupéré par un loustic plus ou moins mafieux qui gère les lieux de manière... professionnelle, si on veut.
Du moment qu'on paie, pas de problème, personne ne viendra dévaliser le car ici. Parait que je pourrais même laisser ouvert, mais faut pas pousser quand même...
Le prix est le même que dans la très officielle gare routière: 150 francs par nuit. Mais, gros avantage, le gentil mafieux vous fait autant de vraies-fausses factures que vous le voulez, avec le montant de votre choix, en espérant que votre patron vous rembourse avec le sourire...

Bon, c'est bien gentil tout ça, mais malgré mon enveloppe "spéciale frais de parking", je ne risque pas d'avoir assez pour payer 150 balles pendant 9 nuits!
Il va donc me falloir trouver autre chose.


Quatrième jour.
A force de venir chaque jour récupérer profs et élèves devant la gare "Atocha", j'ai repéré un coin bien tranquille...
Bon, d'accord, il faut être un peu gonflé, mais bon... Vu les habitudes locales, plus c'est gros, moins ça se voit...
Au milieu du grand carrefour, au pied de l'ancienne gare, se trouve un passage sous-terrain. Et au niveau de sa sortie, au plein milieu d'une grosse avenue, il y a de jolis zébras. Dommage, je n'ai pas de photo pour expliquer le truc.
Bref, si je pose mon car là-dessus, bien sur les zébras, le long de la sortie du tunnel, et donc au beau milieu du carrefour, je ne devrais pas avoir à attendre bien longtemps avant que d'autres ne fassent comme moi.
Pari gagné, dix minutes après, un autre car de tourisme (espagnol) vient se coller devant moi... Finalement, c'est pratique, ce pays. Faut juste oser, c'est tout!

Depuis ce jour, lors de chacun de mes voyages à Madrid, j'ai posé mon car au même endroit, dont de nombreuses nuits. Et je n'y ai jamais pris aucun PV, personne n'a semblé se soucier d'un car garé au beau milieu d'un carrefour.
Tout est normal, quoi...


La "estaciòn de Atocha" est immense.
En premier, l'ancienne gare. Un magnifique bâtiment historique du même style que la gare d'Austerlitz, à Paris.
Derrière, dans son prolongement, la nouvelle gare, avec une partie "TGV", une partie "trains de banlieue", etc... Des rampes pour les bus, d'autres pour les taxis, et ça grouille de partout.

Au contraire, dans l'ancien bâtiment, ça ne grouille plus du tout. C'est même un havre de paix au milieu de l'agitation un peu folle du reste du quartier.
Au lieu de raser ce magnifique hall de gare (comme cela a failli être fait pour Austerlitz, heureusement classé 'in extremis' monument historique), il a été superbement réhabilité.
A l'intérieur, il a été créé un jardin aquatique, des petits cafés sympas, des passages au beau milieu d'une végétation tropicale, des bancs pour les amoureux (ou les autres)...
Régulièrement, de petits pulvérisateurs, répartis dans tout le bâtiment, projettent de la vapeur d'eau et permettent de conserver cette atmosphère chaude et humide, quel que soit le temps à l'extérieur.

Pas de bruit, pas de personnes qui courent, pas de flots de passagers montant ou descendant de trains bondés...
Rien que du calme, des petits plaisirs, un temps comme suspendu. L'endroit est déstressant, apaisant. Rien ne peut arriver, ici... Un havre de paix, c'est vraiment ça...

Chaque soir, après avoir garé mon car le long du tunnel, je rejoignais tranquillement mon logement en traversant ce petit coin de calme. Ce n'était pas le chemin le plus court, et une fois à l'intérieur, je flânais sans m'occuper de l'heure, jusqu'à ce que mon estomac me rappelle à l'ordre.
Même chose le matin, après un copieux petit déjeuner et son chocolat espagnol si épais que la cuillère tient debout dans la tasse, je prévoyais toujours un temps pour me ressourcer dans cette atmosphère si particulière et intemporelle, justement...


Hier, quand j'ai entendu les différents bilans grossir à chaque flash d'information, tous ces souvenirs sont remontés à la surface. De grosses larmes ont mouillé mes yeux, que ma dignité d'homme devrait m'empêcher d'avouer.

60... 80... 130... 170... 180... 190...
Et tous ceux qui seront blessés à vie, meurtris dans leur chaire ou dans leur coeur. Ceux qui, aujourd'hui encore, attendent désespérément un être cher qui ne reviendra sans doute plus...

Toutes ses personnes, j'ai l'impression de les connaître. J'ai l'impression de tous les avoir croisés, courant vers leur travail, vers leur train, ou prenant le temps, comme moi, de respirer un moment la paix de cette ancienne gare...


Aujourd'hui, comme l'Espagne, je me réveille avec une gueule de bois terrible, et cet arrière-goût de quelque chose qui ne veut pas partir.
C'est là, ça colle, ça remue les souvenirs, ça fait mal.

Aujourd'hui, avec elle et tous ses Espagnols, je suis en deuil.

Mais la vie continue.