lundi, janvier 24, 2005

J’ai toujours aimé les marches de nuit…

Enfin, ce n’est pas que j’en aie fait très souvent, mais quand même.

A l’Armée, d’abord, j’ai du en faire deux ou trois, dans les montagnes dominant Lyon. « Tenue de combat », brodequins trop petits, carte d’Etat-Major, lampe électrique… Tout un parcours à faire, dans les chemins autour de la base aérienne, en poinçonnant une fiche avec les pinces adéquates accrochées aux endroits stratégiques.

Trop fort.

J’entends d’ici les sarcasmes de certains… Mais non, sérieusement, c’était vraiment sympa et très riche en expériences humaines.

En plus, j’ai du faire ça en avril et en juillet, avec une météo agréable. Voir Lyon d’en haut, depuis la pleine campagne, à 1 ou 2 heures du matin ; l’immensité de la ville, cette impressionnante flaque de lumière, tout cela à mes pieds, dans le silence des Monts d’Or… Franchement, c’est encore un de ces bons souvenirs qui revient très régulièrement, même onze ans plus tard.

Ensuite, les autres marches de nuit que j’ai pu faire étaient plutôt « urbaines », et n’avaient généralement rien d’obligatoire.

J’étais alors conducteur de cars de tourisme, et que ce soit à Madrid ou Barcelone, à Paris ou Strasbourg, à Rome ou ailleurs, j’ai toujours pris un immense plaisir à marcher la nuit, des heures durant, choisissant et visitant les rues sans ordre ni but précis, jusqu’à ce que l’épuisement de la journée de conduite ajouté à celui de la marche ne me pousse à reprendre la direction de l’hôtel…

Ce soir, j’ai donc eu l’occasion de retrouver ce plaisir.

Parti du boulot vers 21 heures, la route était à peu près salée jusqu’au pont sur l’Allier, entre Cournon et Pérignat. Puis d’un coup, le pont traversé, un autre monde. Une route recouverte de neige tassée et gelée, dure comme de la glace. Pas de sel, juste quelques gravillons par endroit.

Pas trop grave, tant que c’est plat.

Le premier petit raidillon que j’ai trouvé, j’ai bien cru que la BM n’accepterait pas de le monter ; il a fallu mettre deux roues dans le bas-côté pour arriver à trouver un semblant d’adhérence…

Passant en bas de la Roche-Noire, je m’étonnais qu’il y ait tant de voitures garées ici et là. J’ai compris en voyant des personnes monter la côte menant à leur village, à pieds. Bon, cela doit être une coutume locale, je ne sais pas trop.

Là, c’était la vallée de l’Allier. Mais Busséol, c’est en haut, bien plus haut ! A un moment ou un autre, il faudra bien monter…

Arrivé au carrefour où commence justement la montée vers Busséol, je dois me rendre à l’évidence : celle-ci n’est pas non plus salée. Hors, si l’adhérence était déjà proche de zéro sur le plat, inutile d’espérer faire plus de vingt mètres en côte.

Je décide de continuer jusqu’à Mirefleurs, toujours par la route principale. Déjà, j’admets que la seule solution va être de trouver un endroit tranquille pour garer la voiture, et terminer les derniers kilomètres sans elle.

Dans Mirefleurs, c’est salé, je peux monter jusqu’au cimetière. Puis ça redevient parfaitement impraticable. Propulsion ou pas, « pneus-neige » ou pas, cela n’aurait pas changé grand chose. Elle ne montera pas.

J’abandonne et gare titine le long du cimetière, donc. Le thermomètre indique « - 1,5 », cool…

Allez hop, la sacoche dans le coffre, lampe électrique pour être vu, gants, et zou, je commence la marche !

Un peu plus haut, une voiture au fossé… Puis une deuxième.

Au carrefour est annoncé : « Busséol : 3 ».

Derrière moi, une voiture grimpe péniblement. Ca patine, ça part à droite, à gauche… « Vous voulez que je vous emmène ? » me lance la conductrice en passant. « Ne vous arrêtez pas, vous n’allez pas repartir, continuez ! »

Elle ne s’est effectivement pas arrêtée tout de suite ; elle a du faire trente ou quarante mètres, la 205 est parti en traviole, s’est arrêtée puis, malgré les quatre roues bloquées, a commencé à redescendre. Coup de chance, un petit rebord l’a stoppée juste avant le fossé. Ce n’est pas le cas d’une autre voiture qui, quinze mètres plus haut, y est bel et bien, dans le fossé…

« Euh, vous montez jusqu’à Busséol à pied ?

- Oui oui, ma voiture est assurée au tiers, et je n’ai vraiment pas les moyens de faire des frais dessus en ce moment. Je l’ai garée à Mirefleurs, et me voilà… Vous voulez marcher avec moi ?

- Bin euh, je vois pas bien quoi faire d’autre.

- Certes… Moi non plus… Et puis trois kilomètres, c’est rien du tout ! »

Et voilà.

Nous avons donc fait les trois kilomètres de côte, tranquillement, par moins 2 ou 3 degrés. Je ne vous dirai pas en combien de temps, n’ayant pas regardé ma montre. Peut-être une quarantaine de minutes, à peine…

En tous cas, aucune voiture ne nous a rattrapés. Et depuis plus d’une heure que je suis rentré, rien n’est passé sur la route. Pas de saleuse non plus, d’ailleurs.

Nous n’avons pas eu besoin de la lampe : la blancheur partout et la lune derrière des nuages peu épais éclairaient parfaitement bien. Nous n’avons pas eu froid non plus, puisque montant à un bon rythme…

Derrière nous scintillaient les lumière de Cournon et Clermont, et ça ressemblait bigrement à cette grande flaque de lumière lyonnaise, onze ans plus tôt.

Tout ça pour, peut-être, trois malheureux centimètres de neige.

Je ne suis pas du genre à chercher un coupable pour chaque chose. Il devait neiger, il a neigé, voilà, c’est tout. Et cette neige a du fondre sur les restes de sel, avant de redevenir glace par un bon coup de froid.

Je constate simplement que quinze ans plus tôt, les routes autour de Saint-Flour étaient largement mieux dégagées, malgré une épaisseur beaucoup, beaucoup plus importante.

Mais finalement, cette petite balade nocturne aura été tellement agréable, dans ce calme olympien et cette lumière un peu fantomatique, que l’idée de faire le procès de nos amis de l’Equipement ne me vient même pas à l’esprit…

dimanche, janvier 02, 2005

La théorie du mort au kilomètre.

A titre personnel, 2004 fut une très bonne année. Et il n’y a pas de raison pour que 2005 ne soit pas au moins aussi bonne…
D’une manière plus générale, par contre, il y a quand même assez peu de motifs à se réjouir. « Internationalement », 2004 a donné de quoi s’inquiéter. Elle se termine par un drame dépassant l’entendement, dont les plaies devraient faire souffrir une bonne partie de l’année qui débute.
En mars 2004, j’écrivais quelques lignes, tirées de mes souvenirs d’une certaine Espagne et des attentats qu’elle venait de subir. Je vous propose de les lire ou de les relire, « para no olvidarse », pour ne pas oublier :
http://fabiencamus.blogspot.com/2004_03_01_fabiencamus_archive.html

Depuis une semaine, de la même manière que lors de ces attentats, les bilans tombent et s’alourdissent à chaque flash d’info. Seule l’échelle diffère. Cette fois, on a débuté vers 4000, 5000, puis 10, 12000, puis 25000… Après quelques jours, on parlait de 80000, 100000, peut-être 150000 morts. Tout cela semble tellement énorme qu’on n’arrive pas vraiment à s’en faire une idée.
Cependant, deux différences essentielles entre les drames de Madrid et d’Asie : l’un était un acte humain, délibéré, avec la ferme intention de tuer ; le second est du à la nature, au hasard, à la fatalité. L’autre différence s’observe dans notre perception de la catastrophe, en fonction de la distance qui nous en sépare. Ce que les journalistes appellent la « théorie du mort au kilomètre ».
Cette théorie est mise chaque jour en application depuis les premières annonces du raz-de-marée : 4000 morts dont 2 Français, 150000 morts dont 100 ou 200 Français et quelques milliers d’Européens. Depuis le début, cette attitude me choque, pour ne pas dire plus. Sur Inter, on pourrait s’attendre à ce que l’information soit donnée différemment que sur TF1 ou un autre grand media commercial et son « temps de disponibilité intellectuelle » ; il semble pourtant que non…
Rien à faire : chaque édition traite de ce drame de la même manière. Une moitié du temps pour les « locaux », l’autre moitié pour nos victimes bien françaises. Un Français vaut donc autant qu’un millier d’Asiatiques, semble-t-il.

Cette attitude me choque, disais-je, et me fait honte. Bien que trouvant cela scandaleux, révoltant, je dois bien admettre que, moi-aussi, j’applique cette théorie : je n’arrive pas à ressentir autant de douleur pour ces centaines de milliers de personnes en souffrance que je n’en avais ressenti pour l’Espagne et ses Espagnols, dans un drame pourtant sans commune mesure. J’en ai honte, sincèrement.
N’allez pas croire que je méprise ces Asiatiques, ou que je leur donne moins d’importance ! Je m’intéresse à leur(s) culture(s) depuis longtemps, je suis extrêmement attiré par cette région du monde… Mais voilà, je les connais mal. Déguster les films qui commencent à arriver de ces pays ne suffit pas, voir les courts-métrages du Festival de Clermont, admirer des photos ou faire des recherches sur le Net n’est pas assez.
Madrid, je connaissais mieux, et particulièrement cette gare dont je revois chaque détail. En Asie, je n’y suis encore jamais allé, et c’est sans doute ce qui creuse cette différence, au-delà du nombre de kilomètres qui nous séparent.

Quel dommage de ne pas arriver à penser différemment…