dimanche, janvier 02, 2005

La théorie du mort au kilomètre.

A titre personnel, 2004 fut une très bonne année. Et il n’y a pas de raison pour que 2005 ne soit pas au moins aussi bonne…
D’une manière plus générale, par contre, il y a quand même assez peu de motifs à se réjouir. « Internationalement », 2004 a donné de quoi s’inquiéter. Elle se termine par un drame dépassant l’entendement, dont les plaies devraient faire souffrir une bonne partie de l’année qui débute.
En mars 2004, j’écrivais quelques lignes, tirées de mes souvenirs d’une certaine Espagne et des attentats qu’elle venait de subir. Je vous propose de les lire ou de les relire, « para no olvidarse », pour ne pas oublier :
http://fabiencamus.blogspot.com/2004_03_01_fabiencamus_archive.html

Depuis une semaine, de la même manière que lors de ces attentats, les bilans tombent et s’alourdissent à chaque flash d’info. Seule l’échelle diffère. Cette fois, on a débuté vers 4000, 5000, puis 10, 12000, puis 25000… Après quelques jours, on parlait de 80000, 100000, peut-être 150000 morts. Tout cela semble tellement énorme qu’on n’arrive pas vraiment à s’en faire une idée.
Cependant, deux différences essentielles entre les drames de Madrid et d’Asie : l’un était un acte humain, délibéré, avec la ferme intention de tuer ; le second est du à la nature, au hasard, à la fatalité. L’autre différence s’observe dans notre perception de la catastrophe, en fonction de la distance qui nous en sépare. Ce que les journalistes appellent la « théorie du mort au kilomètre ».
Cette théorie est mise chaque jour en application depuis les premières annonces du raz-de-marée : 4000 morts dont 2 Français, 150000 morts dont 100 ou 200 Français et quelques milliers d’Européens. Depuis le début, cette attitude me choque, pour ne pas dire plus. Sur Inter, on pourrait s’attendre à ce que l’information soit donnée différemment que sur TF1 ou un autre grand media commercial et son « temps de disponibilité intellectuelle » ; il semble pourtant que non…
Rien à faire : chaque édition traite de ce drame de la même manière. Une moitié du temps pour les « locaux », l’autre moitié pour nos victimes bien françaises. Un Français vaut donc autant qu’un millier d’Asiatiques, semble-t-il.

Cette attitude me choque, disais-je, et me fait honte. Bien que trouvant cela scandaleux, révoltant, je dois bien admettre que, moi-aussi, j’applique cette théorie : je n’arrive pas à ressentir autant de douleur pour ces centaines de milliers de personnes en souffrance que je n’en avais ressenti pour l’Espagne et ses Espagnols, dans un drame pourtant sans commune mesure. J’en ai honte, sincèrement.
N’allez pas croire que je méprise ces Asiatiques, ou que je leur donne moins d’importance ! Je m’intéresse à leur(s) culture(s) depuis longtemps, je suis extrêmement attiré par cette région du monde… Mais voilà, je les connais mal. Déguster les films qui commencent à arriver de ces pays ne suffit pas, voir les courts-métrages du Festival de Clermont, admirer des photos ou faire des recherches sur le Net n’est pas assez.
Madrid, je connaissais mieux, et particulièrement cette gare dont je revois chaque détail. En Asie, je n’y suis encore jamais allé, et c’est sans doute ce qui creuse cette différence, au-delà du nombre de kilomètres qui nous séparent.

Quel dommage de ne pas arriver à penser différemment…

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